Roger KOWALSKI
Roger Kowalski est né le 31 août 1934, à Lyon, d’un père polonais et d’une mère allemande. Après des études classiques chez les Jésuites, il suit des cours au Conservatoire d’art dramatique, étudie le chant, fait son service militaire en Algérie, enseigne quelque temps les lettres, puis vend des filés de coton, avant de devenir régisseur d’immeubles en 1964 et de créer avec sa femme Colette, quai de Bondy, à Lyon, en 1974, la Galerie K (qui expose des graveurs et des peintres), à laquelle il se consacre totalement, lui donnant en quelques mois un élan et un éclat exceptionnels. Roger Kowalski décède à Lyon, le 6 septembre 1975, d’une crise cardiaque. Son épouse Colette, qui enseigna l’allemand avant de se mettre à traduire de la littérature germanique d’Allemagne, d’Autriche et de Suisse, disparait à son tour le 17 mai 2006.
Admiré par trois générations d’Hommes sans Epaules - au premier chef, avant l’équipe actuelle, par Guy Chambelland, Jean Breton, Yves Martin et Serge Brindeau -, Roger Kowalski a été naturellement publié comme Porteur de Feu, dans Les HSE n°10 (3ème série, 2001). Un dossier lui est consacré dans Les HSE n°38 (2014), à l'occasion du quatre-vingtième anniversaire de sa naissance.
À lire sa poésie, comme l’a écrit Jean Orizet, nous flottons entre le rêve éveillé ou le récit tendre et cruel parfois. Dans ses poèmes en prose superbes et ciselés, passe le souvenir d’un Aloysius Bertrand, d’un Nerval ou d’un Rilke. D’une forme châtiée qui les retire doucement du monde des préoccupations immédiates et leur confère une durée plus lente, les poèmes de Kowalski mêlent la cruauté au rêve, l’angoisse à l’amour. Langage de haut vol, sensuelle à souhait, cette poésie dominée par les éléments, nous donne l’image trompeuse d’un univers paisible, qui ne l’est pas tant que cela, car dominé par un vent de crainte, reflet de notre destinée face aux ténèbres.
La voix d’Ariel, écrit Jean Breton (in L’Information poétique n°1, 1970), à propos de Sommeils (1968), nous éveille à moitié sans ternir le récit ni couper les rythmes du rêve – ou si l’on préfère, fait basculer le « bon gros réel » (Ségalen) dans le brouillard de l’immatériel, du conte de fées, voire du récit presque cruel. Comme les romantiques allemands, il aime les oiseaux, les feux, les tisons et les bougies, les ombres, les horloges, les vents, les portes qui battent. Un don d’enfance, une invention discrète, un style caressant. Un poète à tête de fable.
On aimerait lire Roger Kowalski, ajoute Serge Brindeau (in La Poésie contemporaine de langue française depuis 1945, éd. Saint-Germain-des-Prés, 1973), à l’approche de l’hiver, dans la demeure simple d’un village. Entre ces brefs poèmes en prose, d’une forme châtiées qui les retire doucement du monde des préoccupations immédiates et leur confère une durée plus lente, on regarderait bouger le feu. On remonterait dans la mémoire vers l’enfance éclairée. On passerait la veillée à regarder les ombres. Les poutres protégeraient l’intimité d’un silence ponctué par le crépitement des étincelles. Le poème éveillerait tendrement, secrètement, les choses périssables. Ariel évoqué avec la voix d’Ariel, l’air se peuplerait de formes et de songes. On hésiterait entre la veille et le sommeil, la réalité des ombres et l’apparence des choses. La solitude retrouverait la beauté d’un visage. Elle se détacherait d’elle-même comme pour mieux se comprendre et s’aimer. Des animaux craintifs, la biche et le faon, passeraient près de là. L’eau fraîche et sombre, la rosée, la mare tremblante, le soleil et le gel, la mousse, le vent d’octobre, tout s’ordonnerait à la convenance du désir, mais on aurait un peu peur aussi, parfois. La flamme conduirait à la cendre et l’on se laisserait prendre aux couleurs changeantes de la vitre. Quelque cruauté se mêle ici et là aux images du rêve ou de la rêverie. Cet univers n’est pas si paisible qu’on aurait pu le pressentir. Il arrive que le poème soit « dominé par un vent de crainte ». Mais c’est de notre destinée qu’il s’agit dans ces ténèbres où des arbres grandissent, où la neige et le silence viennent recouvrir ce qui pouvait encore demeurer de nous-mêmes : (…) Vint un jour où le port fut définitivement ensablé ; on traça des rues, édifia des maisons et ce n’est pas le moindre attrait de notre ville que ces vaisseaux fichés dans les squares ou bien entre des thermes. Aucune lumière ne s’allume plus le soir aux hublots. Nous savons, avec le poète, que « les feux nous environnent », que dans la nuit scintillent des étoiles, des poèmes, des lueurs vivantes. Mais que faut-il attendre de leurs présages ?
Nul ici parmi les feux du serpent ; nul ni rien ; la porte est close.
-Nulle retraite ; je ne sais nulle pierre creuse où vous cacher, vieux profil ;
Peut-être convient-il à grands cris de fuir,
Que l’oubli tisse en nous l’étrangère moire, qu’il veloute votre sein d’une aimable poussière,
Et s’il se peut, qu’une arme y rougeoie.
Christophe DAUPHIN
(Revue Les Hommes sans Epaules).
Œuvres de Roger Kowalski : Le Silenciaire (éd. Chambelland, 1961), La Pierre milliaire (Les Cahiers de la Licorne, 1961), Augurales (L.E.O., 1964), Le Ban (éd. Chambelland, 1964), Les Hautes Erres (Seghers, 1966), Sommeils (Grasset, 1968), À l’oiseau À la miséricorde (éd. Chambelland, 1976), Un sommeil différent, choix de poèmes, (La Différence, 1992), Poésies complètes (le cherche midi éditeur, 2000).
(..) Roger fut un vivant d'une stature peu commune. Une curieuse espèce d'oiseau de nuit à qui l'aube et le plein jour ne faisaient pas peur non plus. Dormant peu, connaissant tous les bons endroits où, devant une enfilade de verres emplis (et vidés!) de ces grands crus dans lesquels baigne la discrète ville de Lyon, une conversation - à l'abri de ces infernales musiques d'ambiance (?!) made in USA qui ont défiguré et dénaturé tant de nos cafés et bistrots - était encore possible, Kowalski tenait ses assises au milieu d'un incomparable amoncellement de revues et journaux littéraires, de livres en cours de lecture et soigneusement annotés, de véritables fagots de plusieurs pipes avec chacune son paquet de l'un de ces tabacs fins dont il était grand expert et fumeur assidu, de cendriers toujours débordant des cigarettes qui lui cramaient le cœur.
Le retrouver en tel appareil, et à intervalles très réguliers, me fut l'un de ces bonheurs marquant à jamais des territoires qui appartiennent autant à la mémoire qu'à la vie présente.
Et quelle présence que la sienne ! Jamais une minute banale, mêlant perpétuellement ses mondes personnels - empreints d'autant de fantaisie que d'une gravité allant souvent jusqu'à une forme de déréliction quasiment jubilatoire - aux réalités d'un monde dont rien ne lui échappait, il était sans cesse aux aguets de ce qui pouvait prêter au jaillissement du poème. Il avait toujours sur lui des sortes de liasses de très beau papier (le papier était en effet, avec les stylos et les fragrances de l'encre, l'une de ses constantes ferveurs) sur lesquelles il notait tout ce qu'un sens très aigu de l'observation et sa rêverie toujours en éveil l'amèneraient à utiliser, plus tard, dans le nécessaire repli et le secret des bureaux, professionnel et domiciliaire, où il s'adonnait jusque fort avant dans les nuits et l'indispensable solitude, au travail d'écriture et de réécriture. Après quoi il sortait « prendre l'air » et déambuler aux premières lueurs des petits matins.
Je ne veux pas, ici, pousser plus loin les feux d'une existence qui fut une vie tout entière consumée pour et par la Poésie, en ce que celle-ci a de plus miraculeusement lié au seul fait d'être au monde. Nul doute que, pour Kowalski, la Poésie ait été l'unique nécessité, c'est à dire, selon la définition que la philosophie a tenté de donner de ce mot : « ce qui ne peut pas ne pas ne pas être »...
François MONTMANEIX
(Revue Les Hommes sans Epaules).